Auteur : Bernard Ménard, o.m.i.                                                                             Crédit photo : Mathieu Lavigne – Mission chez nous

La nouvelle a fait les manchettes dans tout le pays et à l’étranger : les restes de centaines d’enfants ont été retrouvés dans des cimetières adjacents à d’anciens pensionnats autochtones, grâce à des appareils pouvant lire à travers la couche terrestre.

Des cimetières délaissés depuis plusieurs décennies, sans monuments. Certainement cachés par les anciens responsables, qui « avaient maltraité des milliers d’enfants », comme l’affirmait le rapport de la Commission de vérité et réconciliation en 2015.

Les Oblats, missionnaires auprès des Autochtones d’un océan à l’autre, sont particulièrement visés par ces accusations. Les médias ont présenté la situation comme une action criminelle.

QUESTIONNEMENTS ET RECTIFICATIONS

Depuis cette annonce au printemps, des recherches et des analyses sérieuses ont été publiées, apportant des questionnements et des rectifications. En voici deux majeurs :

  1. L’expression qui a soulevé l’indignation et la colère : « fosse commune ». On sait à quoi fait référence ce terme : des enterrements rapides de cadavres empilés les uns sur les autres, à la suite d’un massacre collectif, comme au temps des nazis ou au Rwanda. Alors qu’ici, les dépouilles avaient été placées les unes à côté des autres, et que les croix de bois avaient pourri ou été enlevées au fil du temps. Un journaliste du National Post, Tristin Hopper, note qu’il n’y a là rien de surprenant ou de caché : « des cimetières délaissés, on en trouvera encore, où sont enterrés ensemble adultes et enfants ».
  2. De quoi sont morts les enfants ? Majoritairement de la tuberculose. Un rapport rédigé en 1920 par le Dr Peter H. Bryce, inspecter médical du ministère des Affaires Indiennes, faisait état des ravages de ce virus dans la population générale et spécialement chez les enfants. Il dénonçait les conditions pitoyables d’hygiène et d’alimentation dans les pensionnats, dues à un sous-financement gouvernemental. Il intitulait son rapport : « L’histoire d’un crime national ». Cela n’a pourtant rien changé aux règlementations défavorables de la Loi sur les Indiens ni au refus de payer le transport des corps des enfants décédés vers leur communauté d’origine.

Une autre journaliste, de Global News, Candice Malcolm, relève « Six erreurs dans les reportages concernant ces sépultures ». Un manque flagrant de vérification des données présentées, qui a provoqué un état de panique et des excès de rage contre « ces assassins », jusqu’au vandalisme et à l’incendie de dizaines d’églises.

En juillet, Le Devoir publiait l’opinion d’un ancien éducateur de pensionnat, Ovide Bastien, qui soulignait la responsabilité des autorités politiques à chaque étape de ce projet insidieux et la tendance à faire reporter le blâme sur les groupes religieux : « Diaboliser [l’Église catholique] afin de se disculper ».

UN GÉNOCIDE CULTUREL

La découverte de ces sépultures a ravivé le souvenir douloureux d’un drame certes très réel qui entache gravement la réputation d’hospitalité de notre pays et celle de la mission des Églises comme gardiennes des valeurs humaines. Dans une vision impérialiste, les dirigeants du pays ont conçu et entretenu le projet d’éliminer les différences culturelles, surtout celles des Premières Nations. Un des moyens privilégiés « de tuer l’indien dans le cœur de l’enfant » fut de les arracher dès leur bas âge à leur famille et à leur communauté, avec des conséquences néfastes sur le développement de la personne. La Commission de vérité et réconciliation parle de « génocide culturel ».

Marquées par cet esprit colonialiste de supériorité culturelle et religieuse, les communautés missionnaires ont soutenu la mise en place et le maintien de ces écoles, comme enseignants ou administrateurs. En plus de leur aveuglement sur la visée politique du projet, elles ont commis des actes de violence physique selon la pédagogie du temps et des abus sexuels (jamais acceptables !). Ce qui a amené les Oblats, entre autres, à demander publiquement pardon aux populations autochtones pour avoir contribué à l’existence même des pensionnats. Dès 1991 en Alberta, 2013 à Montréal et 2018 ici à Notre-Dame-du-Cap lors de la « Rencontre » avec des membres de quatre nations. En 2020, les Oblats ont dénoncé avec force le racisme encore présent en notre temps dans nos institutions et nos mentalités.

DES ÉCRITS, C’EST BEAU, MAIS DES ACTES ?

Impossible de sortir de la crise actuelle sans CHANGER profondément notre regard et nos comportements. Or, cela nous concerne toutes et tous.

Écouter. Le temps est à l’écoute des voix autochtones. Une écoute humble, empathique des nombreux récits de détresse vécue en bas âge et au long de la vie. Une écoute qui sait entendre également les témoignages d’expériences positives vécues en dépit de ce système dévastateur, comme l’ont raconté d’anciens pensionnaires tenant à exprimer leur reconnaissance envers certains éducateurs. Sans nier les effets pernicieux de ce projet, le Chef Robert Joseph, initiateur de Réconciliation Canada, déplore la présentation uniquement négative qui est faite des expériences vécues dans ces écoles.

Rencontrer. Quand on ose se faire proche, sans arrogance, on perd des préjugés injustes et on découvre des qualités de relations et de créativité. Comment ne pas admirer la force de résilience qui incite actuellement ces peuples à se remettre debout, dans une société qui leur était hostile ?

Appuyer. Nous solidariser dans leurs luttes tenaces actuelles pour le respect des personnes et de la Terre-Mère. Exercer des pressions sur les politiciens pour donner suite aux multiples rapports d’enquête demeurés sans action concrète.

Marcher avec. Les Oblats de l’Est du Canada continuent leur engagement envers les communautés innues de la Côte Nord, faisant appel à des confrères venus d’Afrique qui apportent une fraîcheur et une profondeur évangélique à leurs relations pastorales.

Souffrir. Accueillir ce temps d’accusations (parfois injustifiées) comme un passage par la souffrance qui nous rend davantage sensibles aux douleurs sans commune mesure des victimes. Nous sommes tous des blessés, en besoin de guérison et de coresponsabilité. « Si la souffrance t’a fait pleurer des larmes de sang, tu auras les yeux lavés. Alors tu pourras prier avec ta sœur ou ton frère en croix » (Akepsimas).

Espérer. La guérison sera l’œuvre de l’Esprit (le Saint et le Grand Esprit) qui seul peut créer en nous la réconciliation profonde tant souhaitée. À la suite de la mort tragique de Joyce Echaquan, le Grand Chef des Atikamekws, Constant Awashish, appelait de toute sa force le jour où nos petits-enfants vivront heureux ensemble dans un même pays. Vous voulez y travailler vous aussi ?

un texte de Bernard Ménard, o.m.i.